Le rendez-vous est fixé. Direction les pompes funèbres un matin, en plein cœur du 16ème arrondissement de Paris. Madame Agnès* (*nom volontairement modifié, mon interlocutrice souhaite rester anonyme) est souriante. Elle m’accueille dans une agence étonnamment chaleureuse.
Elle introduit : “afin de pouvoir comprendre notre métier, il faut savoir d’où l’on vient, comprendre notre histoire. Notre métier est régi par de vieilles lois napoléoniennes qui évoluent trop doucement et qui ne sont pas en phase avec nos cas de figure. Il y a beaucoup de jurisprudence en raison de tous les conflits qu’il peut y avoir avec les familles et les nouveaux formats familiaux. Les familles recomposées, les PACS, les divorces, les remariages, posent des situations complexes.”
A l’origine, le funéraire était un service municipal. La législation funéraire remonte au 1er empire. Depuis le Moyen-âge, les cimetières sont situés près des églises. Comme c’était un service, à l’époque, le maire faisait office de police en matière de funéraire et ce service était soutenu par du personnel municipal. Le maire se doit d’avoir un cimetière capable d’accueillir toute personne décédant sur son territoire ainsi que des emplacements gratuits. Tout le monde peut demander, encore aujourd’hui « 5 ans gratuits » Puis, à cause des charges de personnel, les maires ont délégué ce service à des privés, et les prix se sont envolés. Alors, le législateur a demandé à ce que chaque entreprise dépose en mairie un devis type de base, à disposition des familles.
Avant, il y avait des inhumations privées, dans les châteaux, les chapelles, mais ça pose un problème, car quand la propriété est vendue et que dans le fond du jardin, il y a l’aïeul…
Madame Agnès continue : “c’est une profession particulière, qui ne permet pas vraiment d’être libre. Il y a beaucoup de papiers administratifs et de normes, de délais ou d’épaisseur de bois du cercueil, par exemple. Nous sommes sous le contrôle de la mairie. Avant, il y avait des inhumations privées, dans les châteaux, les chapelles, mais ça pose un problème, car quand la propriété est vendue et que dans le fond du jardin, il y a l’aïeul… C’est bien embarrassant ! Ça pose des problèmes de droits. Je peux vous dire aussi que dans les cimetières, on dit qu’il y a des carrés juifs, musulmans, bouddhistes, chrétiens, mais ce n’est pas vrai ! On essaye de placer les gens de mêmes religions pas trop loin les uns des autres, mais ça n’existe pas. Les cimetières sont laïcs, en France. « Dans tous les cas, pour faire au moins cher, il faut faire le don du corps ou le crash d’avion, quand on ne retrouve pas le corps ! ». Madame Agnès a de l’humour !
Quelle est la dénomination exacte de votre métier ?
Madame Agnès : On nous appelle précisément agents funéraires ou conseillers funéraires. La légende dit qu’à l’époque, des gens étaient en charge de croquer le gros orteil, comprenant une multitude de terminaisons nerveuses, afin de stimuler le corps et voir si le décès est réel. C’est de là que vient le terme « croque-mort », mais attention, je ne sais pas si c’est une légende !
Est-ce qu’il y a des choses qui vous prédestinaient à ce métier
lorsque vous étiez jeune ?
M.A. : Pas du tout ! Le hasard de la vie m’a emmené là. Et
comme beaucoup de collègues,
je ne connais personne qui a une vocation innée pour ce métier. J’ai fait un IUT (Institut Universitaire et Technologique) de biologie appliquée. Je venais de Bretagne et je suis montée à Paris pour trouver un boulot. Mon employeur actuel recrutait et logeait ses stagiaires. C’était parfait pour moi, en attendant de chercher un travail dans mon domaine ! J’ai postulé. Je suis entrée stagiaire, puis on m’a demandé de rester plus longtemps. J’y avais déjà mis un pied, alors finalement, pourquoi pas deux ?
Et au niveau des études ?
M.A. : Il y a un diplôme. Quand on entre dans ce domaine, il y a pendant un an une formation avec une semaine par mois en cours et avec des missions sur le terrain. Il y a un tuteur en agence, responsable du stage avec un livret à compléter. L’examen final porte sur toute la partie législative, l’accueil des familles et la pratique sur le terrain. Notre domaine est très diversifié… Il y a la partie assurances, avec les contrats obsèques, la partie fleurs pour laquelle nous consultons un réseau de fleuristes, la partie édition, avec l’impression des faire-part, des remerciements et des insertions presse. Mais également, tout ce qui est marbrerie, construction et grands travaux dans les cimetières, pour les caveaux et la pose de monuments. Enfin, il y a ce que l’on appelle la « thanatopraxie », qui est une technique de stabilisation du corps des défunts, par une injection chimique dans tout le système veineux artériel. Cela permet de maintenir dans d’excellentes conditions le corps de la personne défunte et de proposer une meilleure présentation.
[Le téléphone sonne] C’est la responsable de l’état civil de la mairie du 16ème qui appelle… Quelques soucis d’organisation à régler. Madame Agnès raccroche « là, il nous faut des coursiers ! » Nous reprenons l’interview.
M.A. : Quand un décès survient, la première chose à faire est de dépêcher un médecin afin qu’il fasse un constat et fournisse à la famille un document. Sans ce papier, aucune démarche ne peut être entamée. Sur Paris, ce qui est pratique, c’est que cela peut être rapide car le SAMU se déplace vite. Une fois ce papier récupéré, on fait une déclaration en mairie.
[Le téléphone sonne de nouveau] Madame Agnès raccroche et m’explique qu’il s’agît d’un rapatriement du Cameroun recommandé par l’ambassade. Le défunt est décédé il y a un mois, mais en raison de nombreuses cérémonies dans le pays, la crémation tarde à se faire.
M.A. : Chaque pays a sa propre législation et cela devient complexe. Au niveau de l’Europe, on essaye d’avoir une certaine uniformité dans nos démarches, mais je peux vous assurer que c’est dur de faire passer un cercueil aux frontières.
Madame Agnès nous apprend qu’il y a encore un an, lorsqu’un défunt était enterré ou incinéré ailleurs que sur sa commune de résidence, un officier de police était obligé d’être présent lors de la crémation ou de l’inhumation pour faire un « scellé ». « C’est pour éviter qu’on mette la belle-mère qu’on a assassiné dans le cercueil du père ! ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas…
Quel regard a votre entourage sur votre métier ?
M.A. : Je n’ai aucun problème avec mon métier, mais cela reste une profession taboue. Quand autour de moi, mes amis ou les mamans des amis de mes filles me demandent ce que je fais, je sens qu’il y a un étonnement et un petit recul. On n’a pas forcément envie d’être ami avec l’agent des pompes funèbres… ! Mais c’est ancré dans la culture. Je leur dis qu’on a un beau métier, accompagner les familles, ce n’est pas forcément simple. Il faut déjà aimer les gens, on ne peut pas faire ce métier-là comme si on vendait des voitures ! Si on n’a pas compris le côté humain on change de métier. Le côté affectif est très fort. Il faut être à l’écoute et ne pas pleurer avec les gens. Il faut savoir être détaché mais attentif. On n’a pas à faire des têtes d’enterrement et pleurer avec la famille. Notre rôle est d’aider, d’accompagner et de conseiller. Mais vous savez, tout le monde n’est pas écroulé, en pleurs. Quand c’est une personne âgée, on s’y attend, donc c’est prévisible. Les gens ne sont pas effondrés et c’est parfois même un soulagement. Ce qui est très dur, et j’ai de la chance de ne pas être située près de l’hôpital Necker, c’est les enfants. Ça c’est perturbant… Les jeunes, le Bataclan, ces familles-là, les attentats, ça ce n’est plus de la routine. Là, on prend notre part d’émotion. J’ai eu des cas d’enfants… Un petit garçon de 4 ans qui s’était fait renversé sur un parking de grande surface alors que ses parents déchargeaient le caddie. L’incompréhension… Ça m’a bouleversé. Ces gens, catholiques, ont refusé la cérémonie à l’église, estimant impossible que ce décès vienne de Dieu… Le papa, en état de choc ne pouvait pas s’asseoir lors de la cérémonie. Nous, humains, ne pourrions pas encaisser ça tous les jours… Quand il s’agît de personnes âgées, c’est une libération pour la personne et pour la famille. Il faut bien que cela s’arrête un jour. On doit acquérir une certaine philosophie.
La tristesse des familles vous touche-t-elle jusque chez vous, le soir ?
M.A. : Je fais mon travail sérieusement. J’accompagne les familles au mieux, et quand je rentre chez moi, ma mission est faite et je passe à autre chose.
[Une vieille dame entre dans l’agence]. Je glisse un rapide « je vais vous laisser » à Madame Agnès, et j’entends finalement la vieille dame demander « pourriez-vous m’indiquer où se trouve la manucure s’il vous plaît ?». Soulagement. Nous reprenons notre conversation.
Est-ce un métier intéressant du point de vue de la rémunération ?
M.A. : J’ai un salaire fixe, qui n’est pas très intéressant. C’est presque l’équivalent d’un salaire de fonctionnaire. Je bénéficie d’une bonne mutuelle, grâce au groupe dans lequel je suis employée et j’ai un treizième mois. Celui qui veut avoir un train de vie extraordinaire ne doit pas faire du funéraire.
Pour être un bon croque-mort aujourd’hui, quelles sont les qualités que doivent cumuler les personnes qui exercent ce métier ?
M.A. : De l’écoute, absolument. De la patience, complètement, parce que les gens sont un peu perdus. Il arrive parfois qu’ils mettent 10 minutes à choisir la couleur du capiton. Ils perdent un peu pédale et ne voient plus l’essentiel. Il faut aussi de la disponibilité et avoir envie d’accompagner les gens, rester dans l’esprit du service. Aujourd’hui, on est devenu des commerciaux, mais il ne faut vendre seulement ce que la famille attend. Le vendeur de voiture va toujours essayer d’ajouter à la facture des enjoliveurs en chromes. Nous ne devons pas faire ça ! Il faut qu’on reste dans la justesse de ce qu’attend la famille afin qu’il n’y ait pas de rancœur. La famille ne doit pas se sentir lésée, avoir de la rancœur par notre faute, parce qu’elle estime qu’on ne lui a pas vendu les fleurs qu’elle voulait, par exemple. Moi, je mets à disposition, j’attends et spontanément les gens vont vers le cercueil qui correspond au défunt. Inconsciemment, la famille sait toujours ce qu’elle ne veut pas. Il ne faut jamais faire de forcing, on suggère. Dans notre conseil, on peut argumenter, s’il y a de l’indécision. Nous avons une réputation à tenir, une famille qui se sentira en confiance reviendra nous consulter. Une famille qui s’est sentie abusée ne reviendra pas.
Une anecdote à raconter ?
M.A. : Il y en a plein ! J’étais plus jeune et un monsieur âgé venait de mourir. La famille avait déposé des vêtements pour qu’il soit préparé. Il semblait être quelqu’un de discret. L’esprit ailleurs et partout en même temps, c’est la fille de ce monsieur qui avait préparé la tenue de son père. Elle portait ce jour-là des lunettes de soleil rouge brillant, très féminines, fun et ornées de strass et les a malencontreusement déposées dans le sac de son père. Les toiletteurs étaient très surpris au moment de découvrir le sac de vêtements, mais croyant respecter les volontés de la famille ont mis ces fameuses lunettes au monsieur. Le jour de la mise en bière, la famille est venue pour se recueillir et s’est retrouvée face au grand-père vêtu d’un costume et d’une magnifique paire de lunettes rouge flashy sur le nez.
Le jour de la mise en bière, la famille est venue pour se recueillir et s’est retrouvée face au grand-père vêtu d’un costume et d’une magnifique paire de lunettes rouge flashy sur le nez
La fille du monsieur s’est mise à pouffer de rire, pliée en deux. Je ne pouvais pas la calmer ! On en a beaucoup ri avec mes collègues.
A quoi aimeriez-vous que ressemble votre mort ?
M.A. : Je n’y pense pas trop et de toute façon, je n’ai pas peur de la mort. C’est une chose naturelle. Avant on vivait avec la mort, cela faisait partie intégrante de la vie de famille. L’aïeul vivait dans la maison avec le petit dernier, c’était admis par tout le monde.
On naît, on meure, le tout est de bien mener sa vie car on ne peut pas rejouer le scénario, la vie n’est pas une pièce de théâtre
Maintenant, les vieux on les met en maison de retraite, les tous petits à la crèche et les actifs courent toute la journée. Chacun est dans son petit terrain de jeu et on ne se mélange pas. Avant, lorsque quelqu’un décédait, on faisait une semaine de deuil en noir. Maintenant on prend une matinée pour se rendre aux obsèques et on retourne bosser, on essaye d’effacer le plus rapidement possible cet événement de son l’agenda. Le deuil ne se porte plus et on veut pas y penser, mais moi j’y pense, ça ne me gêne pas. Je m’imagine incinérée, et j’aimerais que mon urne soit à côté de mes parents dans leur caveau. On naît, on meure, le tout est de bien mener sa vie car on ne peut pas rejouer le scénario, la vie n’est pas une pièce de théâtre.
Je remercie Madame Agnès avant de quitter l’agence, qui me semble encore plus chaleureuse qu’à mon arrivée.